La folie est- elle un renoncement à l'Autre ?
La folie, le fait de renoncer à l'Autre :
Le regard et l'identité du sujet dans Seul au monde
Seul au monde, le film de Robert Zemeckis, nous plonge dans l'expérience extrême de Chuck Noland, un cadre de FedEx échoué sur une île déserte.
un homme soudainement privé de toute interaction sociale. Au cœur de cette solitude totale se pose la question du regard de l'autre, non seulement comme miroir de soi, mais aussi comme vecteur de différence, d'altérité. C'est ce regard qui, en nous renvoyant une image de nous-mêmes, nous révèle également ce qui nous distingue des autres, ce qui fait notre singularité.
Le regard de l'autre : un miroir qui introduit la différence
Dans cette absence de différence, Chuck crée Wilson, un ballon de volley, un substitut de l'autre qui lui permet de recréer, artificiellement, le jeu du regard,un simulacre de differnce. Wilson n'est pas seulement un compagnon, il est aussi un miroir qui renvoie à Chuck une image de lui-même. À travers Wilson, Chuck peut rejouer les interactions sociales, les échanges, les confrontations, qui sont autant de manières de se différencier de l'autre. Wilson incarne le regard de l'autre, ce regard qui confirme son existence. Comme le souligne Donald Winnicott, Wilson devient un objet transitionnel, un support psychique essentiel pour Chuck. La perte de Wilson, emporté par les flots, symbolise la rupture du dernier lien avec l'humanité, précipitant Chuck dans un désespoir profond.
Le regard de l'autre : un miroir qui introduit la différence et le désir
Pour Lacan, le regard de l'autre n'est pas seulement un reflet, c'est un miroir qui introduit la différence et le désir. Avant son naufrage, Chuck est pris dans le jeu des regards, où son identité se construit dans un équilibre précaire entre l'image qu'il se fait de lui-même et celle que les autres lui renvoient. Ce besoin du regard de l’autre n'est pas neutre, il est une demande, il est demande du désir, ce désir primordial et absolu, le désir de la mère, qui aliène. Dans l’existence cette demande incessante détermine tous les choix du sujet dans sa lutte inconsciente, de rester sujet de lui-même ou de redevenir l’objet de désir de la mère et se perdre. +
«La folie » : l'effacement de la différence , la perte du Je
La « folie » de Chuck, ce n'est pas tant la perte de contact avec la réalité que la perte de contact avec la différence. C'est l'incapacité à se distinguer des autres, à se définir par rapport à un extérieur. C'est l'engloutissement dans une uniformité mortifère, où le sujet se dissout dans un néant indifférencié.
La « folie » comme renoncement àu desir de l'autre
La « folie » de Chuck ne se manifeste pas par des hallucinations ou des délires, mais par une forme de dépersonnalisation, une perte de contact avec la réalité sociale. L'isolement et l'absence de regard de l'autre le conduisent à une régression psychique, à un état où les frontières entre le soi et l'autre s'estompent. Cette « folie » est une tentative de survivre psychiquement dans un environnement hostile, une manière de se protéger de l'anéantissement.
L'autre m'oblige à être différent
Le film nous rappelle que l'autre ne se contente pas de nous confirmer dans notre être, il nous oblige aussi à être différents. C'est dans la confrontation avec l'autre que nous prenons conscience de nos singularités, de nos spécificités. C'est dans le jeu des interactions sociales que nous nous définissons comme sujets uniques et irremplaçables.
Seul au monde est une puissante réflexion sur le rôle du regard de l'autre dans la construction de l'identité. Le film nous montre que ce regard n'est pas seulement un miroir, mais aussi un vecteur de différence, un outil qui nous permet de nous définir par rapport aux autres. La « folie » de Chuck, c'est le renoncement à cette différence, l'effacement de son identité singulière.
