Le Complexe Fraternel
Le complexe fraternel
Pour Freud, le complexe fraternel est un simple déplacement et un évitement du complexe d'Œdipe. La rivalité avec le frère est vue comme une réédition de la rivalité avec le père pour l'amour de la mère. C'est une problématique secondaire. Pour Lacan, le complexe fraternel a une importance structurante propre et se développe dès la période pré-œdipienne. Il le définit comme le complexe de l'intrus, où la jalousie et l'agressivité envers le frère ou la sœur sont des manifestations d'une dynamique plus profonde et narcissique.
Le lien fraternel est une organisation intersubjective, c'est la relation concrète et réelle qui s'établit entre les frères et sœurs.
Le complexe fraternel lui est une structure intrapsychique, un modèle interne de relations qui organise les désirs et les affects (amour, haine, jalousie). Il est présent même chez l'enfant unique et s'élabore sur un fantasme de l'intrus.
En psychanalyse, la notion du frère ou de la sœur comme "l'incarnation de l'intrus" est une idée centrale dans la compréhension du complexe fraternel, particulièrement dans la perspective lacanienne. Le complexe s'enracine dans la période pré-œdipienne. L'enfant, dans sa relation duelle avec la mère, perçoit le phallus comme l'objet du désir maternel. Pour s'assurer l'amour exclusif de la mère, l'enfant s'identifie à cet objet partiel, cherchant à être le phallus pour elle. Avant l'arrivée d'un second enfant, l'enfant vit dans une relation de quasi-fusion avec sa mère. Il s'identifie à l'objet du désir de la mère, cherchant à être son "tout", son phallus imaginaire. Dans cette relation duelle, l'enfant ne se perçoit pas comme un sujet distinct, mais comme un prolongement de la mère. Il n'existe qu'à travers son regard et son désir, dans un fantasme d'exclusivité totale.
L'arrivée d'un nouveau-né vient briser cette illusion d'exclusivité et est perçue comme l'intrusion d'un rival qui menace cette position exclusive. Pour l'aîné, le nouveau-né n'est pas simplement un autre être humain, mais une intrusion dans la relation fusionnelle avec la mère. Il est perçu comme l'objet qui capte le désir et l'attention de la mère, le privant de sa position privilégiée. Le frère est le premier double narcissique de l’enfant, il est un reflet spéculaire, un miroir dans lequel l'enfant se voit, à la fois semblable et étranger. Il est l'incarnation de l’intrus, un objet partiel de la mère qui prive l'enfant de l'exclusivité maternelle.
Le terme "l'intrus" est donc une représentation psychique de ce qui vient perturber l'ordre établi. Le frère ou la sœur devient le rival, mais pas dans le sens d'un affrontement conscient. Il est le double narcissique de l'enfant, un miroir de son propre manque et de la perte de l'exclusivité maternelle. L'agressivité qui en découle n'est pas seulement dirigée vers le nouveau-né, mais aussi vers soi-même, car le sujet est aliéné dans cette image de l'autre, qui représente à la fois son semblable et son propre manque. C'est le début d'une dynamique où "moi" est le frère, créant une confusion identitaire profonde.
Une dynamique du « moi ou lui » s'installe, où la contemplation du nourrisson au sein de la mère suscite un désir mortifère régressif chez l'aîné, celui de se fondre de nouveau dans la mère, dynamique qui vise à éliminer l'intrus.
Un complexe fraternel non résolu se réactive à l'âge adulte lors de l'arrivée de tout « intrus » dans la vie du sujet : dans le travail, les relations amicales ou amoureuses, ou la famille (l'arrivée d'un enfant, la mort des parents).
Cette réactivation se manifeste par un désir de capter l'attention exclusive de l'objet d'amour et par un désir de voir disparaître le rival. Le sujet peut alors adopter des stratégies de prise de risque et de mise en danger, comme en témoigne la confusion identitaire "si je me détruis, je détruis l'autre". La relation reste duelle et spéculaire, menant à l'impasse "si je détruis l'autre, je me détruis moi-même".
Pour sortir de cette impasse, le sujet peut transformer les désirs fraternels en contre-investissements, en cherchant un « rival » qu'il peut contrôler. Cela se manifeste par la recherche d'un rival qui devient un objet d'amour, que l'on peut contrôler dans le cadre de relations sociales (frères d'armes, frères et sœurs dans la religion, équipes de travail).
Cela peut aussi se manifester par la formation d'un couple de type cohabitation désexualisée, où le partenaire est traité comme un frère ou une sœur, permettant de rejouer inconsciemment la relation fraternelle.
La résolution du complexe fraternel est un processus de maturation psychique qui mène à la reconnaissance de l'altérité. Cela passe par la capacité de se détacher de la relation spéculaire avec le frère-objet-miroir pour permettre l'existence de l'un et de l'autre en tant que sujets différenciés.
L'aboutissement de cette résolution est la compréhension de la coexistence et de la non-exclusion mutuelle : "S'il y a moi, il y a l'autre". L'autre n'est plus un rival à éliminer pour préserver sa propre existence, mais un semblable et un différent, co-existant avec son propre désir. La fratrie devient ainsi un terrain d'apprentissage fondamental pour la sortie de la relation duelle à la mère et l'accès à l'altérité.